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Les émotions à l'ère du digital
Fait-on passer les mêmes émotions par écrit ?
Nous le savions déjà : 93% de notre communication serait non-verbale. Posture, gestes, expressions faciales, ton de la voix... Autant de facteurs qui raconteraient, en réalité, beaucoup plus que nos mots.
L'émergence des nouvelles technologies a fait naître une nouvelle forme de communication, tant sur le plan personnel que professionnel. Par téléphones ou ordinateurs interposés, c'est la quasi-totalité de notre communication qui est bouleversée. Car une émotion se vit, et se transmet en grande partie par notre langage corporel. Alors comment la percevoir à travers un écran ?
A l'heure où nos équipes sont éparpillées et où la communication à distance s'impose, la question est d'autant plus d'actualité.
La communication écrite empêche-t-elle la communication de ses émotions ?
D'abord, un peu de théorie. Deux points de vue s'opposent sur le sujet.
Pour certains, la communication écrite (dite médiatisée par ordinateur) exclut totalement l'expression d'émotions. L'échange devient ainsi purement formel et peut parfois conduire à des incompréhensions ou des conflits. Les individus sont plus sévères entre eux qu'ils ne le seraient dans un échange physique, car ils se jugent et ne sont jugés qu'au seul choix de leurs mots. C'est ce qu'on appelle la théorie du filtrage des indices sociaux (Sproull Kiesler,1986).
Pour d'autres, au contraire, les individus adaptent leur discours en ayant recours à d'autres outils, rendant la communication "hyper personnelle". Pourquoi ? Parce que l'individu peut travailler le message autant qu'il le souhaite et s'assurer de la clarté et de la parfaite retranscription de sa pensée, à l'inverse d'un échange physique où les mots ne peuvent être effacés ou corrigés. Par l'intermédiaire de l'écrit, les individus pourraient même se livrer davantage qu'en face à face, n'ayant pas à affronter les réactions non-verbales de leur interlocuteur en direct. C'est ce qu'on appelle la théorie du renforcement des indices sociaux (Walther, 1996).
Alors, dans quelle théorie vous reconnaissez-vous ? Personnellement, j'ai plutôt tendance à adhérer à la deuxième, du moins dans mon cercle privé. Bercée par les technologies depuis (relativement) toujours, peut-être suis-je d'ailleurs biaisée par mon apprentissage précoce des codes d'une génération ultra-connectée. Oui, mais ... Cela ne m'empêche pas d'en sentir les limites dans le cadre professionnel.
Exprimer ses émotions à l'écrit : utiliser des outils
Pourtant, il existe bel et bien des solutions concrètes pour rédiger ses émotions.
La ponctuation joue par exemple un rôle essentiel à l'écrit. Elle permet de retranscrire ce qu'on appelle la prosodie (oui je sais... à vos souhaits), c'est à dire l'ensemble des modulations que nous ajoutons à l'oral (intonation, rythme, accent, ...) pour aider notre interlocuteur à comprendre nos émotions et intentions. Un exemple très parlant est lorsque nous cherchons à faire de l'ironie : "ta blague était vraiment très drôle" peut avoir plusieurs interprétations selon la manière dont on le dit. Oui, mais il est beaucoup plus difficile de faire comprendre la nuance à l'écrit. Et ce, malgré la ponctuation utilisée...
Il existe d'autres outils à disposition de l'internaute : le changement de la police et de la couleur d'un texte pour adoucir ou insister sur un point, l'utilisation de majuscules pour simuler un haussement de ton, ou encore l'étirement graphique, c'est-à-dire la multiplication d'une lettre (Bravo devient par exemple Bravooooooo pour insister sur une émotion particulière).
Enfin, les smileys sont un outil puissant, censés pouvoir retranscrire une expression faciale et servir de substitut à notre communication non verbale. Ils nous permettent ainsi de donner des clés de lecture à notre interlocuteur et éviter les malentendus. "Il me fatigue 😂" n'a ainsi pas le même sens que "Il me fatigue 😡".
Ces smileys ont d'ailleurs plusieurs utilités :
◾ Il existe les smileys expressifs, qui servent à exprimer une émotion, car ils reproduisent une émotion faciale précise.
◾Les smileys d'humour ou d''ironie, qui permettent d'éviter tout malentendu ou mauvaise interprétation du message.
◾ Les smileys relationnels de proximité : 💛, 😍... (ceux-là nous intéressent moins ici car ils concernent plutôt la sphère privée).
◾ Et enfin, les smileys de politesse qui permettent de prévenir d'une potentielle mauvaise interprétation d'un message. Ils sont en l'occurrence relativement répandus dans la sphère professionnelle... Comme par exemple, le petit sourire que l'on ajoute après une requête potentiellement pénible auprès d'un collègue.
Ok, mais alors pourquoi parlais-je tout à l'heure de limites dans le cadre professionnel ? Parce que l'utilisation de ces éléments est plus complexe et plus controversée en entreprise. Prenons par exemple l'utilisation des smileys. Particulièrement adepte dans ma sphère privée, je les trouve pourtant plus complexes à utiliser avec des collègues. Peur de ne pas paraître assez professionnel.le ou compétent.e, d'être trop familier.e... Les freins à leur utilisation sont nombreux, et les avis divergent sur le sujet. Nul besoin de réinventer l'existant : je vous laisse consulter cet article de Welcome To The Jungle, qui confronte différents points de vue sur l"usage des smileys en entreprise. Alerte spoiler : il n'existe pas de conclusion universelle sur le sujet.
Savoir interpréter et lire entre les lignes
Certes, il existe des outils puissants qui permettent à tout collaborateur d'exprimer ses émotions. Mais encore faut-il que ces codes soient universels. Les biais d'interprétation ne sont pas négligeables : les smileys ne sont pas toujours compris de la même manière selon l'interlocuteur, et ce biais est renforcé par le fait qu'ils ne prennent pas toujours la même apparence selon le support que l'on utilise. La bonne lecture d'une émotion dépend également du contexte dans laquelle elle a été écrite, dans laquelle on la lit, de la bonne connaissance (ou non) de son interlocuteur... Bref, les divergences d'interprétation sont potentiellement nombreuses. Qui n'a jamais été confronté à un malentendu qu'il a ensuite désamorcé en quelques secondes seulement autour d'un café ?
Et enfin, et c'est ici selon moi le plus important : tous les collaborateurs n'ont pas recours à ces outils. Pourquoi ? Parce que les paroles s'envolent, mais que les écrits restent. Ainsi, écrire son mécontentement, rédiger sa frustration ou manifester sa surprise par mail ne laissent pas les mêmes traces que de les partager autour d'un café informel ou lors d'un tête-à-tête. Ou plutôt, et c'est là le sujet, les écrire laisse une trace indélébile dans le temps. Et le sujet est d'autant plus délicat lorsqu'un rapport hiérarchique est établi entre les deux interlocuteurs. Comme évoqué plus haut, je suis personnellement convaincue que la possibilité d'effacer et de retravailler un message à l'infini permet d'en révéler toute la puissance. C'est cependant moins vrai lorsque l'on rédige un message dans l'urgence et spontanément; à ceci près que le destinataire, lui, ne fera (probablement) pas cette distinction.
La première question de cet article aurait en fait probablement due être : faut-il exprimer ses émotions au travail ? Mais je suis intimement convaincue qu'à bon escient et dans la juste mesure, leur expression est un vrai plus et permet de fluidifier les relations en ce qu'elles rendent l'échange authentique. Et si l'on part du principe que les émotions primaires sont instinctives et génèrent des réactions physiques irrépressibles, alors la question n'est pas tant sur les émotions elles-mêmes que sur la nécessité ou non de les retranscrire par écrit. Je fais partie de ceux pour qui la réponse est oui, du moment que la démarche est intellectualisée.
Mais gardons tout de même en tête que la seule utilisation d'écrits par écrans interposés ne suffit pas et ne suffira jamais à une parfaite connaissance de son interlocuteur. Pourquoi ? Tout simplement parce que les émotions perçues par le destinataire (qui plus est à travers ses biais d'interprétation), se limitent à celles que son interlocuteur a bien souhaité lui écrire. Et qu'il est beaucoup plus aisé d'attendre d'avoir pris le recul nécessaire et d'avoir canalisé ses émotions pour répondre à un mail qu'il ne l'est de contrôler une réaction spontanée durant un échange physique.
Ainsi, dans un soucis de compréhension et de connaissance de ses équipes, l'écrit ne devrait pas être utilisé comme seul moyen de communication, et ne devrait surtout pas se substituer aux discussions verbales, notamment par Visio dans le contexte actuel 😊
Et vous, plutôt pour ou contre l'expression des émotions par mail ?
Que ce soit pour éviter d'envoyer des signaux contradictoires, comprendre les signaux envoyés par son interlocuteur ou encore mieux les utiliser, la clé reste toujours la même : comprendre les émotions pour mieux les appréhender.
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